Dans le cadre de la conférence « Textile to Texture » le 5 avril 2016 aux Ateliers de Paris, Jean-Philippe Trapp, du site web Maisons d’exception, a consacré à Alain Germain le portrait que nous reproduisons ici.
Metteur en scène français aux multiples casquettes – acteur, artiste décorateur, costumier – et à la riche carrière, Alain Germain est depuis plus de quarante ans à la tête de sa propre compagnie éponyme, qui a pour particularité de proposer des spectacles alliant de nombreuses disciplines telles que la danse, le chant, le théâtre, les arts plastiques et la musique.
Il enseigne également l’art de la création textile et dans le cadre de son exposition-workshop Textile to Texture présentée à ESMOD Dubaï, puis plus récemment aux Ateliers de Paris, familiarise les étudiants aux différentes techniques utilisées pour fabriquer des pièces à destination du monde de la haute couture.
Exposition-workshop Textile to Texture, ESMOD Dubaï, 2013Pourquoi combinez-vous autant de disciplines au sein de votre compagnie ? Quel rôle joue le textile dans cet univers transversal ?
Mêler danse, chant, théâtre, musique et arts plastiques a toujours été pour moi une évidence. Plus tard, j’y ai ajouté l’écriture ; donc le texte. Texte, texture, textile, une autre évidence. Je crois qu’un artiste ne peut devenir que ce qu’il au plus profond de lui-même et que tout se rassemble au-delà des disciplines exprimées. Chorégraphier, mettre en scène, concevoir un décor pour un opéra ou une exposition, créer des costumes, écrire un livret ou un roman, peindre et dessiner ne sont que les formes visibles de créations qui ont une origine commune.
Pour ne prendre l’exemple que du textile ou plutôt de la texture, ma peinture, mon écriture et mes costumes de scène s’en nourrissent en restituant leur matière entre mots, lignes, croquis, maquettes et toiles. Toile pour la peinture, toile pour la découpe préparatoire avant d’utiliser le textile pour un vêtement de haute couture ou un costume de scène. Toile encore pour le cinéma. Et la toile n’est rien d’autre qu’une variété qui appartient à la grande famille du textile.
Exposition Opéra Côté Costume, Palais Garnier, 1995Quelle importance accordez-vous aux savoir-faire ? Comment les mettez-vous en scène ?
Le savoir-faire est le maillon qui de génération en génération permet aux créateurs de pouvoir réaliser ce qu’ils ont imaginé. Maillon, maille, encore des mots qui en disent long sur les relations étroites qui se tissent entre les concepteurs et les artisans, qu’ils soient plumassiers, brodeurs, teinturiers, bottiers, perruquiers, tailleurs ou petites mains. Les mettre en scène est très simple. Il suffit de leur rendre hommage. De dire. De montrer. De témoigner.
C’est ce que j’ai fait en 1995 lorsque que j’ai investi le Palais Garnier pour l’exposition Opéra Côté Costume où pour la première fois se mêlaient à l’architecture du lieu ces différents corps de métiers magnifiant les drapés des somptueux costumes mannequinés comme autant de personnages suspendus dans le temps. Depuis cette formidable aventure, je n’ai cessé d’être le porte-parole de tous ceux qui travaillent en coulisse.
Pour preuve, parmi tant d’autres, l’exposition Alain Germain Mémoires de Scène en 2001 au musée de l’Opéra de Paris qui a permis à mes costumes de scène d’être classés par le département des arts du spectacle de la BnF (Bibliothèque nationale de France) et de faire l’objet d’une collection, et plus récemment la grande rétrospective Alain Germain Entre Costumes et Machines au musée national des Arts et Métiers et Alain Germain Habille Chambord d’Opéra au château de Chambord.
Exposition Entre Costumes et Machines, musée national des Arts et Métiers, 2008Plusieurs ateliers créent ou réalisent des costumes et vêtements sur mesure à la fois pour les arts du spectacle et pour la haute couture, car ce sont deux univers très proches. La haute couture est-elle une source d’inspiration pour vous ?
Il me semble que haute couture et costumes de scène peuvent en apparences se confondre. C’était d’ailleurs le thème de mon exposition Costumes à Jouer, Costumes à Rêver présentée au musée de Saint-Maur où j’avais, d’une part, mis en espace des vêtements de grand couturiers pensés comme des costumes pour les défilés et n’étant pas conçus pour être portés, mais pour être photographiés tel un spectacle éphémère, et d’autre part des réalisations de costumiers d’opéra et de ballet qui sont des costumes de travail devant répondre à des exigences de confort et de solidité sans jamais le laisser voir.
Même s’ils partagent le luxe et l’illusion, vêtements de haute couture et costumes de scènes sont aux antipodes. Leur fonction n’est pas la même. Quant à l’influence des uns sur les autres, je laisse aux observateurs avertis tirer leur propres conclusions. Les idées sont dans l’air, elles appartiennent à ceux qui savent respirer.
Jean-Philippe Trapp, 18 avril 2016.